Lettre de A. Toulmouche à P. Baudry, 1er avril 1877

 

Mon vieux chéri

J'ai tardé à te répondre parce que je ne savais où t'adresser ma lettre mais je n'ai pas pour cela négligé tes affaires. M. Buon ayant déclaré que sa lettre serait placée dans la travée des Champs-Elysées, j'ai donné ordre d'envoyer ton portrait du général et celui de la petite Hoschédé. C'est Bellay qui s'était occupé de voir M. Buon à ma place car j'ai reçu ta lettre le jour où je devais partir pour Rennes où ma vieille tante venait de mourir. C'est un petit héritage qui nous arrive et qui est le bien venu. Notre ami Saintin n'est pas encore décoré mais il a encore assez grandes chances de l'être. C'est la semaine prochaine qu'il saura son sort. Un de nos pauvres amis vient d'être cruellement frappé. Le pauvre Mouchot vient de perdre sa plus jeune fille, cette nuit, d'une méningite. Je sors de chez lui, les pauvres gens font pitié.

Pour parler de chose plus gaies, je te dirai que Flohant n'expose pas cette année, il veut frapper (j'allais dire tirer) un grand coup l'année prochaine. ... va avoir du répit cette année mais aussi l'année prochaine !!

Tous nos amis vont bien, tous te réclament et s'informent de toi. Nous te désirons ardemment, ma femme et moi. Tu nous manques beaucoup, ton absence a achevé de nous dégoûter de notre quartier. Lala est toujours maigriotte et charmante. Elle ne chante plus mais gazouille si bien. Notre ami Chennevières continue à lutter contre les radicaux qui s'immiscent de plus en plus dans les affaires. Quand donc leur frottera-t-on donc le nez dans leur caca pour qu'ils n'y reviennent plus. En ce moment, ils se répandent plus que jamais en déposant leurs immondices partout. Quelle lessive il faudra, mon Dieu.

Voici la dernière d'Arago. Conversation entre 2 jumeaux dans la matrice de leur maman. - La petite fille : Mais enfin, pousse toi donc un peu, tu prends toute la place. - Le petit garçon : Dame, je fais comme je peux avec ça qu'il y en a de la place. - Tous deux : Chut ! Voilà papa, tiens, non, c'est une visite. C'est un grand succès, elle court tout Paris, c'est pour ça que je te l'envoie.

Lundi matin. J'avais interrompu cette lettre hier à la nouvelle d'un malheur. Notre pauvre ami Marchal vient de se brûler la cervelle avec un sang froid énorme. La cause est probablement la misère puis le dégoût de toutes choses. Les amis ne lui manquaient pas et avaient tous la bourse ouverte mais il sentait qu'il pouvait plus gagner sa vie. Nous l'enterrons demain. Madame Roux n'a rien à te dire, elle t'attend avec impatience. A bientôt mon cher Paul. Embrasse Ambroise pour nous deux bien tendrement. Viendra-t-il cet été en France ? Tous les amis te font mille tendresses. Ma femme t'embrasse. A toi de tout cœur

A. Toulmouche

 

Institut néerlandais, fonds Custodia, 1978-A.528