SYNTHESE DU SITE

suivie de quelques réflexions sur le travail de recherche...

Né en 1829, Auguste Toulmouche exerce son activité de peintre au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Après un apprentissage dans sa ville natale puis à Paris, auprès de Charles Gleyre, Toulmouche choisit de suivre l'exemple donné par ses camarades néo-grecs et se met à peindre de charmants tableaux de genre qui lui assurent quelques succès dès ses premiers envois aux Salons. Puis en 1857, il expose Le baiser maternel, sa première œuvre inspirée de la vie contemporaine. Et déjà, tout est joué. Le peintre a fait ses choix esthétiques, a trouvé sa source d'inspiration : il est prêt pour affronter sa carrière de peintre. Pendant trente ans, entre 1860 et 1890, les mêmes tableaux surgissent de sa palette, la même femme élégante lit un billet doux ou attend son fiancé dans le silence de ses appartements. Le succès du peintre tient en une formule toute simple : plaire au public avec une histoire joliment racontée.

Toulmouche était donc un peintre de genre anecdotique assez habile pour attirer l'attention du plus grand nombre et suffisamment talentueux pour se faire reconnaître auprès des institutions artistiques, comme beaucoup d'autres artistes du XIXe siècle d'ailleurs, aujourd'hui encore oubliés. Mais Toulmouche occupe parmi eux une place originale, non pas tant pour son œuvre, mais plutôt pour les commentaires qu'il a suscités. Je crois avoir démontré combien la réception de ses tableaux a été symptomatique d'une époque et comment elle a pu cristalliser les préoccupations d'un bon nombre de critiques. Etudier l'œuvre de Toulmouche revient de fait à s'interroger sur les moyens de la représentation de la vie contemporaine.

Au temps de la querelle du réalisme, la vie contemporaine est présente dans les œuvres du peintre sous une forme déguisée (la peinture néo-grecque) avant d'être dévoilée totalement dans ces tableaux où apparait pour la première fois le costume bourgeois. On se félicite des petites scènes familiales exécutées selon une technique traditionnelle et qui s'opposent si parfaitement aux œuvres de Courbet. Dès lors, Toulmouche devient le peintre à la mode puisqu'il est en parfait accord avec les valeurs de la société. Il importe aussi de rappeler le rôle du peintre qui accueille Claude Monet à Paris et le dirige vers l'atelier de Gleyre. Au-delà de l'anecdote, cet épisode n'est pas sans intérêt car, ironie de l'histoire, le tuteur artistique du futur chef de file de l'Impressionnisme finit par devenir celui qu'il faut combattre sur le terrain de la modernité : l'œuvre moderne ne réside pas, en effet, dans le sujet comme au temps de Courbet mais dans la manière de peindre. Aussi, la toulmoucherie, plus qu'un tableau retraçant un épisode présent, est la manifestation d'une ancienne conception picturale sans rapport avec le mouvement général du siècle, ce que est confirmé, en outre, par les critiques défenseurs des peintres officiels de la IIIe République qui adoucissent les "extravagances" des impressionnistes. De ce point de vue, la peinture de Toulmouche restée sans changement dans sa conception, souligne avec beaucoup d'acuité, l'attente des critiques de la modernité qui souhaitaient, depuis Baudelaire, une représentation magistrale de leur époque.

Cette vision très schématique a le mérite de montrer que l'étude d'un peintre peu connu peut éclairer un problème sous un angle inédit. Il est intéressant en particulier de constater le succès très important de Toulmouche, la diffusion massive de ses œuvres sous forme de photographies, au moment même où les futurs impressionnistes, témoins de cet engouement, voulaient créer un art résolument moderne. Cependant, une année de recherches est insuffisante pour donner un aperçu nuancé de la place de Toulmouche pendant les années 1860. La biographie du peintre et le catalogue de ses œuvres demandent à être complétés, notamment pour la période néo-grecque, très mal connue. Il serait d'un grand intérêt de définir avec précision le rôle de la fameuse Boîte à thé en tant que lieu de rencontre pour de nombreux artistes familiers de la cour de Napoléon III. Par ailleurs, l'étude de tous les peintres spécialisés dans le genre de la Parisienne, permettrait avec certitude d'estimer l'ampleur d'une mode qui a culminé, semble-t-il, pendant plus de dix ans, entre 1860 et 1875 environ. Evaluer son impact sur la culture visuelle des hommes et des femmes de ce temps devrait passer en outre par une étude détaillée des journaux de mode, des catalogues de reproductions des œuvres d'art et par une analyse de son influence dans les autres secteurs de la création humaine.

Plus généralement, la peinture de genre du Second Empire mériterait d'être mieux connue. Elle permettrait de définir la place d'une peinture si fondamentalement opposée à l'art des impressionnistes durant une période où la question de la représentation de la vie moderne a été d'une importance capitale pour l'évolution de l'histoire de l'art. Aussi, l'étude de la peinture académique ne se fait pas contre la peinture impressionniste, elle peut au contraire aider à retrouver le sens d'un mouvement artistique et la véritable originalité de ses œuvres.